par Hancy PIERRE, Specialiste en Relations Internationales.
Dans l’histoire des relations haïtiano-dominicaines, la migration tient lieu de débats polémiques. La migration fut d’abord évoquée comme une menace pour l’intégrité culturelle de la société dominicaine qui se serait considérée de souche hispanique (BALAGUER , 1995). Le spectre de l’invasion pacifique des haïtiens allait occuper par la suite toute la littérature de la migration pour se faire une rhétorique . Ce qui conforte l’idée de “dominicanité” utilisée comme une arme politique. Ce, après le massacre de 1937 de plus de 20,000 haïtiens et de dominicains d’ascendance haïtienne dans le voisinnage de la Rivière Massacre qui partage la frontière Ouanaminthe-Dajabon.
Tout part alors de ce massacre survenu dans un contexte global marqué par l’essor du discours de racialisation associé à la hiérachie des groupes ethniques dans le système politico-économique comme des dominants, des citoyens de second rang ou des exclus. Nous allons hériter d’une division internationale de travail axée sur des zones de spécialisation ainsi que l’assignation de rôles déterminés dans le procès du travail, avec des pays producteurs , des pays consommateurs et ceux pourvoyeurs de main d’oeuvre. Ce fut une vision classique qui a évolué par rapport aux nouvelles positions occupées par de pays émergents de l’Asie du sud -est ou de l’Inde entre autres.
Ainsi se construit le discours de l’immigrant ou de l’immigrante comme charge sociale au pays “récepteur”. Ce qui prête généralement à une propagande pour déprécier la force de travail de l’immigrant et les contraindre à l’exploitation. Cela tient aussi lieu à opposer les travailleurs natifs aux immigrants accusés de dépouiller les natifs de leurs emplois. Cette propagande fait son cours dans des contextes de crise comme un instrument politique aux mains des dirigeants.
“Les immigrants comme charge sociale au pays récepteur” , c’est ce discours qui soit la trame des actuelles campagnes électorales aux Etats -Unis. D’autres centres capitalistes ou de pays périphériques émergents ont suivi cette logique dont la République dominicaine qui est devenue un pôle attractif surtout aux immigrants haïtiens . Dans quelle mesure les immigrants haïtiens constituent-ils vraiment une charge sociale pour l’Etat dominicain?
Les immigrants haïtiens comme charge sociale à l’Etat dominicain résonne souvent dans les discours politiques comme le principal motif de rapatriements massifs des haïtiens de la République dominicaine, soient en 1991 , et de 2013 à nos jours considérés comme des périodes ou ces rapatriements ont connu leur pic de 100,000 annuellement ou de 200 à 300 par jour. Les immigrants comme charge sociale est une position qui se serait justifiée au regard des programmes humanitaires en matière de migration apparentés au TPS ou à l’Humanitarian Parole de l’administration Biden-Harris mais à notre connaissance il n’a jamais eu de programmes pareils en République dominicaine au bénéfice des immigrants haïtiens. Ces derniers sont connus de tous comme de rudes travailleurs, exploités dans les plantations de canne à sucre, de café , de riz, de cacao et de banane. Ils ont subi les mêmes sorts dans l’insdustrie de construction, dans l’hotellerie et dans le secteur des services en général. S’il existe des pratiques de mendicité infantile et de prostitution, elles se sont plutôt inscrites dans le cadre de la traite et du trafic de personnes en République dominicaine selon un rapport des Etats Unis sur la question.
Loin d’être considéré comme charge sociale, les immigantes et immigrants haïtiens-nes qui représentent 4 % de l’ensemble de la population apportent 2.4% du budget national . Ils sont assujettis à des impôts indirects importants qui correspondent à 61%. Ils contribuent entre 3.8% et 5.3% de valeur ajoutée dans l’économie dominicaine avec 7.4% dans l’agriculture à elle seule . D’après la Banque Mondiale (2012) les immigrants haïtiens sont seulement les remplacant des natifs pour des emplois précaires que refusent ces natifs eux-mêmes. Le salaire des immigrants est 22.6% moins que celui des natifs dans un contexte ou le salaire minimum en Republique dominicaine est le plus bas de la région apres Haïti et qui n’a pas augmenté depuis plus de 20 ans.Le travailleur immigrant a un salaire de 6,880 DOP par mois contre 11,292 DOP accorde au natif . Leur journée de travail est plus longue et assujettie à des conditions précaires. Le chômage a frappé davantage les immigrants haïtiens soit 10% par rapport aux natifs (8.8%).Comment ce travailleur exploité dont les industries et les plantations en République dominicaine font leur beurre peut -il être une charge sociale ? Ce serait procédé par l’absurde pour démontrer cette position. Aussi 61% des immigrants sont-ils des travailleurs indépendants pour la plupart des femmes qui occupent le commerce informel par rapport à 43% de natifs. Le secteur informel représente 1/3 du PIB dominicain.
Les chiffres jusque –là avancés nous donnent une idée objective de la situation des immigrants haïtiens qu’en lieu et place d’être une charge sociale sont de potentiels contributeurs dans l’économie dominicaine et en contrepartie de l’exploitation du fait de leur exclusion du système de la sécurité sociale pour laquelle des taxes leur ont éte prélevées. Ce qui est de l’échange inégal pour les immigrants haïtiens d’autant plus leur statut irrégulier institutionnalisé dans le système dominicain serait un avantage pour l’économie dominicaine. A ce titre , nous nous proposons d’établir une relation entre les contributions sociales des travailleurs migrants haïtiens et les bénéfices sociaux qui leur ont été destinés. Dans un pays frappé de pauvreté en dépit de sa croissance de 6.6%, la présence de travailleurs migrants haïtiens comme main d’oeuvre presque servile font l’affaire d’une économie capitaliste sous les tropiques pour parodier le sociologue dominicain le dr Carlos Dore Cabral. Il s’agit d’une pauvreté qui accuse le taux de 32% en l’année 2000; 50% en 2004 et 43% en 2013. Ce qui a causé une forte émigration de dominicains eux-mêmes. A noter que 12% de dominicains vivent à l’extérieur de leur pays . Ces chiffres ont caracterisé une période au cours de laquelle on allait procéder à des rapatriements massifs. Serait – ce une conséquence du poids de la pauvreté en République dominicaine pour prévenir des charges sociales ou de la faible capacité du marché de l’emploi à absorber de la main d’oeuvre immigrante? C’est un débat à creuser sans anticipation.
Les droits des travailleurs immigrants haïtiens ne sont pas respectés. Ils ont peu bénéficié de sécurité sociale. Aussi l’indice social de la République dominicaine est-il très bas? 10 % sont allouées aux dépenses publiques pour des programes d’assistance sociale aux enfants et aux personnes agées. Mais l’assistance sociale aux immigrants se limite à 0.5%. Les immigrants ont bénéficié de 1.8% pour l’éducation et de 2,7% pour la santé. La proportion des dépenses sociales en général à cette catégorie minoritaire répresente moins de 0.3% (OCDE/OIT ,2018) .
L’Etat dominicain serait une charge pour les immigrants qui contribuent à l’économie, soit 2.4% du budget national et en contrepartie l’exploitation et les sous emplois . Comment peut-on être une charge sociale pour un Etat quand une très faible couverture en sécurité sociale (0,3% de dépense sociale) est destinée aux immigrants haïtiens (ibid,2018)?
Repères Bibliographiques
–ALEXANDRE Guy (2001), la question migratoire entre la République Dominicaine et Haïti, Organisation Internationale pour les Migrations ,1a edicion, Republica Dominicana.
–Ambassade des Etats-Unis en Haïti. Rapport 2021 sur la traite des personnes. https://ht.usembassy.gov/fr/2021-trafficking-in-perons-report-fr/
–BALAGUER Joaquin (1995), La isla al revès.Haïti y el destino Dominicano,Novea Edicion, Editora Corripio, C . Por A., Santo Domingo.
-OCDE/OIT (2018) , Como los inmigrantes contribuyen en la economia de la Republica Dominicana, Edicion OCDE, Paris. ttp://dx.doi.org/10.1787/9789264302181-es.
-PIERRE Hancy (2015) « République Dominicaine: le périple d’une diaspora haïtienne orpheline », in Le Nouvelliste,Port-au-Prince.
-PIERRE Hancy (2015), “ les immigrants caribéens et la politique migratoire des Etats Unis d’Amérique: in Les Cahiers du CEPODE,Edition du CEPODE, UEH. P 101-121.
-PIERRE Hancy (2022), »Expulsion des migrant-e-s haïtien-ne-s de la République Dominicaine et violence de genre : quels enjeux pour une migration sure, ordonnée et régulière ? »In Le Nouvelliste, Port-au-Prince.
– SAINT-JULIEN Jackenson(2017). Le problème de l’effectivité des Protocoles de Palerme (2000) dans la lutte contre le trafic et la traite des personnes à la frontière haïtiano-dominicaine. Mémoire de licence en droit sous la direction du Professeur Marc-Alain DUROSEAU Faculté de droit et des sciences économiques Université d’État d’Haïti.
-WOODING Bridget et MOSELEY-WILLIAMS Richard (2009), Nécessaires mais indésirables. Les immigrants haïtiens et leurs descendants en République Dominicaine. Les Editions de l’Université d’Etat d’Haïti, Haïti.